Le Pape et les migrants ou le risque d’une double noyade.

L’Evangile, message universel à méditer…  Se confronter au réel et faire preuve de solidarité : une double exigence. S’y soustraire dans un sens comme dans l’autre, c’est courir le risque du populisme et, à terme, menacer la démocratie.

Nos traversées dans le monde sont si souvent hasardeuses. Tant de tempêtes…

Tant de récifs … La course échevelée vers le progrès a autant d’avancées qu’elle ne présente de revers. Les pièges sont nombreux. Ils ne sont pas inévitables.

Il ne suffit pas au marin d’interroger les vents. Il doit avoir à portée de main la boussole pour se fixer un cap. Et, aujourd’hui, les points cardinaux ont une lecture brouillée.

Le Pape est un Chef d’Etat, écouté, analysé. Pour le chrétien, il est un chef spirituel, critiqué, même par les croyants. Ce Pape est originaire d’Amérique Latine. D’aucuns y voient la raison pour dire qu’il est inaudible en Europe. De fait, il situe les chemins à emprunter, les responsabilités, sans prendre la pleine mesure de la réalité sur le terrain et les décisions politiques à assumer pour préserver l’harmonie. Là, naît le quiproquo.

A Rome et à Marseille, François cite les Evangiles. Et de citer Mathieu. Ce qu’il préconise se résume en tous points à la chanson de Brassens « L’Auvergnat » Une leçon d’humanisme à méditer pour tenir en échec ce que le Pape qualifie de « fatalité de l’indifférence ». Mais pourquoi, Grand Dieu, n’avoir pas énoncé avec la même force un autre péril ? Il aurait pu, il aurait dû évoquer celui énoncé par l’Abbé Pierre. En Europe, des millions de gens cherchent en vain un logement décent et s’inquiètent de ne pouvoir se nourrir à leur faim. Il fait l’impasse, dans son discours à Marseille, des responsabilités prises par les dirigeants à l’origine des guerres, des déportations d’enfants, de la discrimination ethnique dont sont victimes les minorités en Chine, en Inde, au Pakistan, en Azerbaïdjan. Dans tous ces cas de figure, la noyade est au bout du chemin. Quelles bouées sont mises à leur disposition ? Le Pape donne des leçons. Il en est d’autres. A défaut d’en parler nommément, de dénoncer avec la même force de conviction, cet « intolérable », de réclamer avec la même urgence les corrections, François fait courir le danger de voir un jour les plus vulnérables, les plus démunis, aider à hisser sur le pavois les populistes et ceux qui se moquent des atteintes à la démocratie.

Reconnaissons que nous n’avons pas perdu, mais malmené notre boussole. Le message de l’Evangile a toute son importance. Celui de l’Eglise présente tant d’imperfections, de préjugés, d’analyses borgnes pour pouvoir s’affirmer donneuse de leçons. Pour tout homme et pour l’athée que je suis, le Pape aide à rappeler le sens de notre présence au monde et aux valeurs qu’il nous appartient de forger. Il excelle dans le rôle d’éveilleur des consciences. Mais…qu’il renonce au ton magistral de donneur de leçons. Ce qui est à Dieu appartient à Dieu, ce qui est à César appartient à César.  

Maurice Peeters, journaliste.